FOUCAT JEAN ARRETÉ A PLOUGONVER
PAR DES GENDARMES FRANCAIS
LE 16 NOVEMBRE 1941
DEPORTÉ A DORA (ALLEMAGNE)




La route des camps

De Saint-Denis, en passant par Plougonver, Belle-Ile-en-Terre, Guingamp, La Santé, Fresnes, CIairvaux, Châlons-sur-Marne, Compiègne, Buchenwald, Dora, Nordhausen, Bergen-Belsen où nous fûmes libérés le 15 avril 1945, à 15 heures.
Ayant toujours lutté contre la guerre et le fascisme, dès l'âge de 11 ans, dans les fêtes populaires, je voyais de grandes banderoles rouges avec l'inscription "Libérez Thaelman", Secrétaire du Parti Communiste Allemand, emprisonné depuis 1933, sous l'inculpation "d'incendiaire du Reichtag".
Puis, avec d'autres camarades, la lutte contre Franco. En 1939, la guerre "drôle de guerre" qui consistait à lutter contre le Parti Communiste et non contre les Allemands. Malgré les arrestations, la chasse aux Communistes, nous tapions des tracts contre la guerre et pour la Paix.
Le 28 juillet 1941, en revenant d'une distribution, la police française m'attendait. Je réussi à fuir, mais ma mère fut arrêtée. Je pris le train pour la Bretagne, je me réfigiais à Plougonver, chez des parents, où je fus arrêté le 16 novembre 1941, dénoncé par des PPF à Saint-Denis, par mon oncle, indirectement. J'atterris le 24 avril 1944 à Compiègne pour partir le 12 mai 1944 à Buchenwald.
Nous sommes expédiés le 12 mai 1944 pour une destination inconnue. Le 14 mai, nous arrivons au terme de notre voyage.
Nous n'allions pas tarder à connaître le régime hitlérien.
Partis de Compiègne dans des wagons à bestiaux (100 à 110 par wagon), sans air, une tinette qui s'était renversée, imaginez cet enfer, la faim et surtout la soif.
L'arrivée au camp, les portes ouvertes, les SS avec leurs chiens, les coups de goumis, coups de crosse de fusil, des hurlements, en rang par cinq et en courant jusqu'au camp. Sur la place d'appel, des baquets d'eau glacée, près de 2000 prisonniers se ruant pour boire ; résultat : plusieurs cas de diarrhée. Ensuite, ce furent les douches, mais avant, nous passâmes tous à la tondeuse sur tout le corps ; un bain dans une eau mélangée avec la créosote, qui nous piquait les yeux et les organes génitaux. Les douches sans serviette, ni savon, et puis l'habillement : un pantalon, une veste rayée de bandes bleues et grises, une paire de claquettes qui ne tenait pas aux pieds, un numéro, un triangle rouge. Dès cet instant, nous n'étions plus qu'un "stuck", plus d'identité. Nous étions dans un monde de fous.
Nous étions dans un monde de barbares. D'ailleurs Hitler l'avait dit "Nous sommes des barbares, nous devons être cruels, nous devons l'être avec une conscience tranquille. C'est de cette façon seulement que nous parviendrons à extirper de notre peuple l'indulgence molle et la sensibilité du petit bourgeois et que nous détruirons en lui la béatitude qui naît au fond des pots de bière. Le temps des beaux sentiments est passé Nous avons le devoir de contraindre notre peuple aux grandes actions si nous voulons qu'il remplisse Sa mission historique." Nous allions sous peu subir ces méfaits.
Je pense que la pire des choses, était la peur. Nous avions peur des SS qu'il fallait toujours saluer, ce qui n'empêchait pas de recevoir des coups de goumi ou de bottes. La faim nous torturait jour et nuit, et malheur à celui qui copiait des recettes de cuisine : il perdait toute notion de vie.
Une chose aussi était pénible pour tous. A Buchenwald, 32 nations se côtoyaient, d'où la difficulté de parler entre nous. Nous, Français, étions assez mal vus. Les tchèques nous reprochaient Munich, les Polonais de les avoir abandonnés au début de la guerre aussi ce fut le grand mérite de Marcel PAUL et du Colonel MANHES d'avoir établit le contact entre nous tous.
A Buchenwald, comme dans les autres camps, la toture était monnaie courante. Par exemple, nous allions à la clairière. Nous prenions une pierre (et pas la plus légère) ; un kapo nous surveillait ; on revenait au camp ; nous déposions les pierres pour les reprendre l'après-midi et les ramener à la carrière. Il y avait aussi le "chariot chantant"' qui, rempli de pierres, était tiré par des détenus qui devaient chanter. Malheur à celui qui tombait. Une avalanche de coups le terrassait et souvent la mort.
Une forme de torture consistait à suspendre un détenu, mains au dos à une vingtaine de centimètres du sol. Ce détenu restait toute la journée ainsi. Le soir, un S.S. le détachait. Le malheureux tombait, disloqué, et la mort mettait fin à son calvaire.
Dans une ancienne écurie, aménagée en block d'assassinat, 8 463 prisonniers soviétiques furent assassinés d'une balle dans la nuque.
Tout ceci n'est qu'un résumé. Ce n'est qu'en faisant des "causeries" que l'on peut raconter le pire.

Le camp de Dora
C'est dans ce camp que furent fabriqués les engins V2, engins de mort.
Dora, nom de code pour le complexe Mittelbau 1, est situé dans une petite dépression très boisée, au pied du Mont Kohnstein, au sud-ouest du massif du Harz, dont le point culminant est le mont Brocken : 1142 m. A une altitude moyenne de 500 m, l'endroit est protégé des vents rudes du nord-est.
Ces lieux, pleins de charme, appartenaient à divers propriétaires privés qui durent les céder pour qu'un "camp de repos" y soit édifié, mais sous la montagne, existait un réseau de galeries d'origine relativement lointaine en fait, d'anciennes carrières de quartzite blanc, que certains auteurs font remonter à 1905.
A partir de 1936 et jusqu'en 1943, une "Société Economique et des Recherches" fit aménager tunnels et galeries.
Au 1er septembre 1943 existaient :
- L'ensemble des tunnels "A" et "B" et des galeries transversales 0 à 19 où étaient entreposés des fûts d'huile pour l'armée.
- Une imposante structure métallique qui fermait l'accès de la partie sud entre les halls 19 et 20. Au-delà, tunnels et galeries étaient inachevés ou inexistants.
- Vers le sud, c'est-à-dire vers le futur camp de Dora, les tunnels "A" et "B", qui étaient à peu près terminés, jusqu'au hall 43. Ils se poursuivaient vers le sud sous forme de galeries de diamètre irrégulier.
- L'ébauche de quelques galeries transversales (n° 20 à 46). La grande galerie transversale parallèle aux tunnels n'existait pas.
Une fois l'aménagement terminé, en mars 1944, nous sommes en présence de :
- Deux tunnels, en forme de "S" allongés, orientés Nord (Niedersachwerfen), Sud (Dora), d'une longueur de 1800 m.
- Une galerie médiane et parallèle au tunnel, allant des galeries (baptisées halls) 20 à 45.
- 46 galeries transversales, d'une hauteur de 8,50 m, d'une largeur de 12,50 m, d'une longueur moyenne de 150 m ; les halls 0 à 19 (partie nord) abritaient les usines Junker, ainsi que des bureaux administratifs et d'études de la Mitterlwerk ; les halls 20 à 46 du tunnel "B" jusqu'à sa sortie sud, abritaient les ateliers de production des VI et V2 de la Mittelwerk.
La chaîne de production des V1 est située dans la partie sud du tunnel "A", à partir des halls 44 et 45. La chaîne de production des V2 occupe l'ensemble du tunnel "B", des galeries 20 à 46.
Tel est le site où, pendant 20 mois, de septembre 1943 à avril 1945, Dora, Kommando d'extermination du camp de Buchenwald, devient l'un des camps de concentration le plus épouvantable et le plus redouté de l'Allemagne nazie.

Quelques chiffres
Du 30 août 1943 au 5 avril 1945, pour une masse de déportés de toutes nationalités, de l'ordre de 60000, passés par Dora, le nombre de Français s'est élevé à 8500 environ.
Pour préciser la mortalité, il convient de remarquer qu'il est difficile d'affirmer des chiffres précis pour diverses raisons :
- Les 3 et 4 avril 1945, les "états" tenus au bureau de la main d'oeuvre de Dora ont été brûlés avant l'évacuatibn du camp.
- La comptabilité des morts du camp et du tunnel est incomplète. Seuls étaient comptés les cadavres apportés au pied du "revier" ou emportés à Buchenwald pour y être brûlés. La moyenne journalière dépassait 50 morts. Or, pour décembre 1943, les statistiques officielles donnent 670 morts. La réalité semble plus proche de 1800 morts.
A cette époque, les convois des arrivants couvraient à peine les décès. A partir de mars 1944, fonctionnait un petit four crématoire situé en haut de la future place d'appel. Un petit nombre de morts y était conduit, venant du tunnel ou du camp, sans passer par le "revier" qui, seul, avait la charge de les comptabiliser.
D'importants convois de "sélection", expédiés dans d'autres camps, et dont la plupart des détenus morts en voyage ou à leur arrivée, n'ont jamais été officiellement "comptabilisés". Il y en a eu 5000 environ au cours du 1er semestre 1944.
A partir d'octobre 1944, d'importants convois, venus de l'Est, comptaient des centaines de morts, qui furent brûlés sur des bûchers " hors comptabilité".

La terreur
Tout au cours des mois de septembre, octobre, novembre et décembre 1943, arrivèrent des convois de 250 à 600 détenus, de toutes nationalités.
Parmi eux, se trouvaient de nombreux Français qui faisaient partie des convois des 14, 20, 21, 30, etc., convois qui, parfois, dans leur presque totalité, étaient dirigés sur Dora.
Cette période automne-hiver 1943/1944 fut sans conteste la plus cruelle.
Les Allemands et leurs complices se conduisirent d'une façon consciente avec la sauvagerie la plus ignoble, la plus abjecte qu'un être humain puisse imaginer.
Dans une saison extrêmement rigoureuse, en cette région du Harz, il s'agissait de créer de toutes pièces un camp de concentration, et, en même temps, d'aménager un complexe souterrain de galeries où la poussière et les émanations de la roche étouffaient littéralement les détenus.
L'inorganisation qui régna à la création du camp causa une angoisse supplémentaire. La brutalité consciente, la sauvagerie voulue de toute la hiérarchie de commandement : SS, Kapos, Voarbeïter, Lageraltester, etc., la parcimonie de la nourriture, sa distribution anarchique, le manque absolu d'hygiène (pas d'eau, ni pour boire ni pour se laver), l'insomnie dans les dortoirs du tunnel où, au début, on couchait à même les éboulis, ont immédiatement provoqué, dès les premiers jours, un rapide affaiblissement physique et moral.
Dès novembre, le chiffre journalier des décès a oscillé entre 50 et 80, ce qui, pour une population permanente de 6000 à 7000 âmes, était énorme. En trois mois, la population d'une petite ville de province était exterminée.
Peu à peu, s'appesantit sur les complexes secrets, Mittelbau et Mittelwerk la terreur organisée, mise au point par les nazis.
Du côté allemand, on trouvait des cadres de tous niveaux, des civils de toutes conditions, l'armée (SS, Luftwaffe), conditionnés à l'obéissance et au secret absolu. Tous ceux qui y manquaient étaient fusillés, ou pour le moins, expédiés sur le front russe.
Quant aux pitoyables déportés, en plus des sévices des responsables serviles, ils étaient plongés sciemment dans un univers de mouchards, délateurs, espions, et impliqués dans les rivalités exacerbées des nationalités.
Démoraliser était la règle. Il fallait terroriser, détruire. Détruire physiquement "L'HOMME", avilir sa conscience, détruire jusqu'à son âme.
Tout était illogique. Quel paradoxe pour ceux qui, par leur formation, leur courage, leur clairvoyance, et surtout, leur chance, survécurent dans cet "Univers des ténèbres", de voir que, pour Noël, un immense sapin était dressé sur la place d'appel, pendant que ce jour de fête était occupé à leur faire transporter des charges énormes par un froid sibérien.

Dora, Kommando d'extermination de Buchenwald
En septembre 1943, les morts à Dora étaient mis par 2, puis par 3 et parfois 4, dans de grandes caisses amenées journellement à Buchenwald. Devant l'augmentation du nombre des décès, on n'utilisa plus les caisses. Les cadavres furent directement jetés dans un camion arrivant le soir à Buchenwald.
Aussi, dès les premiers temps de sa création, Dora causa une peur panique aux détenus de Buchenwald. Tous les déportés, Français ou étrangers, anciens ou nouveaux arrivés, avaient la hantise d'y être expédiés.

Le cam
A Dora même, l'hiver 1943/1944, impitoyable, couvrait de son sinistre manteau cet univers de loques humaines, décharnées dont la résistance à la mort s'amenuisait un peu plus chaque jour.
A partir de janvier 1944, les travaux sont arrêtés ou très ralentis. Est-ce à cause de l'hiver ou du manque d'approvisionnement ?
Si septembre - octobre donnent l'impression d'improvisations, les travaux sont ensuite menés rapidement. La main d'oeuvre est de plus en plus abondante : 3000 fin octobre, 10000 pour Noël 1943. Les arrivants sont affectés, pour leur plus grande part, aux kommandos de manoeuvre et de transport, ainsi qu'à ceux de creusement du tunnel. Heureux ou habiles seront ceux qui pourront déclarer une profession adéquate, ceux qui auront l'imagination rapide, inventive : ils partiront dans des kommandos chargés de travaux de spécialistes d'où sortiront beaucoup de survivants de Dora.
Au camp, après l'interruption de l'hiver, les travaux reprennent à vive allure. Fin mars 1944, une soixantaine de blocks sont en voie d'achèvement. On découvre le "revier" (infirmerie) avec 10 blocks, la douche-désinfection (2 blocks), les cuisines, le magasin d'habillement, le soubassement du nouveau four crématoire, une cantine, même un bunker (prison) et, au début de l'été, un "lupanar", la place d'appel.
A Dora, le camp, la carrière, l'usine, c'est le tunnel au bruit infernal du martèlement des galoches sur des planches, se mêlent les hurlements des kapos, des SS, les cris sauvages de ceux que l'on frappe, qui tombent. D'un magma humain, terrorisé, qui ne sait où il va, qui se bouscule, se bat, jaillit une clameur de démence qui se répercute contre les parois d'où résonnent les explosions des mines. Notre pain quotidien, l'utilisation du temps.
L'incroyable aménagement du temps provoquait un gaspillage dû à une organisation extrêmement lourde, méfiante, pleine de suspicion. Il augmentait consciemment et inconsciemment la misère des Déportés, les dirigeait vers l'anéantissement.

Le temps était utilisé pour tuer

4h30 à 5h : réveil, rangement des paillasses et couvertures, distribution du "café", contrôle dans les blocks.
5h30 à 6h : rassemblement devant les blocks dortoirs (au tunnel) appel, les SS comptent et recomptent, les kapos également.
6h30 : départ pour le travail.
7h : mise au travail.
12h30 à 13 h : pause, déterminée par la pause des civils.
19h : arrêt du travail, contrôle des kommandos.
19h30 à 20h30 : appel général quand tout se passait bien, sinon il se prolongeait.
21h : blocks dortoirs, distribution de la soupe, du pain...
22h : possibilité de s'endormir.
Ce schéma théorique du début de Dora subira des variantes suivant les kommandos. Les tracasseries sans nombre empêchaient toute détente. Pire, après l'appel, certains kommandos repartaient faire du transport ou du déchargement et ne retournaient au block que vers 23 h. Tout était prétexte à contrôles, fouilles. Les déplacements occupaient un temps considérable, les appels, les contrôles étaient interminables, seuls ceux qui précédaient l'horaire de mise en route du travail étaient limités.

L'appel
L'appel est un rite, un cérémonial de tous les camps. C'est aussi une arme dont les SS usaient. A Dora, cet appel nous terrorisait, il durait deux heures, parfois quatre, parfois plus, dans le froid, la boue, sous la pluie, la neige. Les "Stucks" étaient plantés sans pouvoir bouger ; au moindre geste, c'était une avalanche de coups de la part des kapos, des SS, ils frappaient sans vergogne, même sur une malheureuse victime écroulée. Combien sont morts sur place sans qu'on puisse leur porter secours !
Les Vorarbeiters comptaient, les kapos comptaient, les SS comptaient, c'était un principe fondamental dans l'organisation des camps, et lorsque l'on compte 6000 ou 10000 hommes rassemblés, il en manque toujours et tout recommence : c'était une véritable manie.
Une autre cause de la longueur des appels était la volonté de punir ce troupeau, de le mettre en condition. Le chef de camp en décidait et l'on attendait sous les coups ou en faisant des mouvements épuisants debout, assis...

Le travail
A l'origine, tout le monde était manoeuvre pour travailler soit à la construction du camp qui demandait beaucoup de terrassiers, porteurs de matériaux de toutes sortes, soit au percement et à l'élargissement des galeries des tunnels.
Petit à petit, se formèrent, à chaque arrivée de convoi, des groupes des spécialistes.
Si l'on se réfère aux conditions inhumaines de traitement, les SS et kapos pensaient pallier cela par la menace, les coups, les brimades, il était interdit de s'asseoir pendant les heures de travail. De nombreuses plaintes des firmes qui louaient cette main d'oeuvre aux SS eurent pour résultat d'augmenter la répression.
De plus, il convient de préciser que les "spécialistes" étaient rares et que, pour sauver sa peau, chacun se trouvait une vocation d'ajusteur, d'électricien, de menuisier, etc ... Ceci provoquait malfaçons et retards ; certains civils se plaignaient, provoquant des punitions sévères pouvant entraîner la pendaison.

La nourriture
Dans cet univers de destruction organisée, la nourriture était l'obsession de tout déporté. La ration qui nous était attribuée aurait peut être été suffisante pour des êtres vivant dans des conditions de vie normale, où l'équilibre est observé entre travail, repos, hygiène.
Hélas ! l'ambiance de terreur, les brutalités, la durée du travail allant de 12 à 15 et 20 heures, l'insomnie, la répartition anarchique des "vivres", le manque d'eau, font que la ration décrite n'a pu sauver du crématoire des milliers d'êtres humains.
En principe, nous recevions, une fois pour toute la journée :
- un litre de soupe claire aux rutabagas,
- trois cents grammes de pain,
- quinze à vingt grammes de margarine,
- une cuillère à soupe de fromage blanc ou de confiture, ou deux à trois rondelles de saucisson.
Une fois par semaine, nous recevions une soupe d'orge.
Cette distribution avait lieu soit vers midi, assez rarement, soit le soir, au gré des kommandos, ceux-ci déléguant aux cuisines leurs hommes de corvée. Le matin, un "jus", ersatz fait d'orge brûlé, était réparti dans les mêmes conditions.
Nous aurions dû disposer d'une gamelle, d'une cuillère et d'un gobelet : en fait, nous n'avions qu'un ustensile pour deux ou trois. On peut imaginer la lutte entre nationalités pour se répartir ce matériel !
Seuls, ceux qui restaient solidaires, par petits groupes, arrivaient à obtenir régulièrement leur ration, ration qu'il y avait intérêt à engloutir rapidement sous peine de se la faire voler.
En dehors de la soupe et du café, l'eau a fait constamment défaut. Seuls quelques points, dans le tunnel, alimentaient les bétonnières, malheur à celui qui en dérobait dans les réservoirs : ou il était frappé, ou il mourait de dysenterie. Les couteaux étaient interdit ; ceux qui en fabriquaient ou qui s'en procuraient, risquaient les peines les plus sévères.

Le tabac
Au début, en janvier 1944, des kommandos se virent attribuer d'infectes cigarettes. Trois cigarettes par jour d'un tabac semblable à de l'herbe, brûlant vite, avec une odeur écoeurante. Certains échangèrent du pain contre ce tabac infecte. lntoxiqués d'une part, affaiblis de l'autre par la privation de nourriture, ils sont morts très vite. Parfois, c'était pire. Pour satisfaire une passion viscérale, ils grattaient quelques résidus de bois qui, roulés dans du papier provenant de sacs de ciment, détruisaient inexorablement les restes de vigueur qui les faisait tenir debout.
Malheur à qui était pris, c'était la schlague, après une volée de coups, car il était interdit de fumer dans le tunnel.

L'habillement
Tous les déportés arrivant à Dora étaient habillés du costume rayé (pantalon, béret et veste sur laquelle étaient cousus numéro et écusson). Le costume était complété par "une chemise", une paire de galoches à semelles de bois. Cet équipement que nous ne quittions jamais était dans un état de saleté repoussante et dégageait une puanteur inimaginable. Il aurait dû être changé chaque mois, il ne l'était pratiquement jamais, sauf lorsqu'il était dans un état de ruine complète.

Les châlits
Trois halls (44, 45, 46) furent équipés de châlits à quatre niveaux une immense palissade de bois en clôturait l'entrée et les séparait du tunnel "A". Chacun d'eux pouvait recevoir entre 2 et 3000 détenus. Il y régnait une humidité glaciale. La température oscillait entre 12 et 13 degrés. Vers 22 heures, enfin, on pouvait tenter de s'endormir. Les détenus étaient tellement épuisés, qu'après avoir englouti soupe, pain, ils s'effondraient sur leur paillasse.
A partir de 4 heures du matin, le réveil se faisait toujours sous les hurlements et la trique des kapos. Réveil pénible, apeuré, ou quelquefois, l'absence de réaction à nos secousses nous faisait comprendre que le camarade de lit ne bougerait plus jamais. Près de l'entrée du block étaient disposés des sanitaires constitués de cuveaux sur lesquels sé précipitaient, dans une ronde infernale, les malheureux atteints de dysenterie et d'incontinence.

L'état sanitaire
Les déportés venant de Buchenwald étaient à peu près propres, en raison de la désinfection pratiquée à l'arrivée au camp et de la quarantaine subie.
A Dora, où rien n'était prêvu, il n'y eut, au commencement, aucune hygiène. D'ailleurs, il n'y avait ni eau ni équipement. Par la suite, l'édification en priorité, dans le futur camp, de deux blocks douches et désinfection permit une légère amélioration.
En théorie, nous devions passer au nettoyage (douche, tonte, rasage) toutes les 2 à 3 semaines. En fait, la cadence mensuelle ne fut même pas respectée. Les "séances" duraient 2 à 3 heures. Elles avaient lieu la nuit et mordaient sur la durée de notre sommeil.
Une désinfection qui fit de nombreuses victimes est restée dans les mémoires. Après le travail, il fut décidé que tous les kommandos seraient dirigés, les uns après les autres à la désinfection. Par un froid intense (-20 degrés) dehors, à tous les vents, complètement nus, pendant que les vêtements "cuisaient' dans les autoclaves, les malheureux attendaient leur tour. Certains attendirent deux heures avant d'être plongés dans des bains de grésil, de subir un rasage total, puis de passer à la douche (salle de douche hermétiquement close qui faisait craindre le pire). Douche bienfaisante et régénératrice, si ce n'est qu'il fallait récupérer ses vêtements, fumants et humides, dans une cohue indescriptible, se rhabiller dans un courant d'air glacial, puis retourner au travail. Ce fut une épreuve que beaucoup ne purent supporter.
Ceci n'empêcha pas une épidémie de typhus d'envahir le camp, le typhus terreur des SS resta endémique ce sont les Allemands civils, SS et détenus qui furent les plus atteints.

Le revier
Début octobre 1943, une baraque en bois agencée en infirmerie permit d'accueillir plus de malades. Devant l'ampleur de la mortalité, fin mars 1944, cinq bâtiments furent montés à l'emplacement définitif du revier.
Sous l'autorité d'un médecin SS, des médecins déportés (Tchèques, Français) apportaient des soins dévoués. Mais près d'eux, toute une équipe d'aventuriers, dénués de tout scrupule, s'arrogeaient l'autorité dé soigner, de panser. Combien de déportés sont morts de leur sauvagerie et de leur incompétence ? Seuls étaient admis à se faire soigner certains malades ayant plus de 39 degrés de température, ainsi que certains blessés.
N'étaient envoyés à Dora que des hommes en bonne santé. Malgré leur robustesse, ils tombaient rapidement en état d'épuisement complet. Cette évolution était provoquée par un ensemble d'éléments qui se conjuguaient : manque de nourriture, mauvaises conditions de vie dans le froid et humidité, méthodes de travail destructrices, manque de sommeil, surmenage physique, manque total d'hygiène, ambiance de terreur.
Les statistiques officielles présentées pour les grands procès des criminels de guerre, où Dora est souvent cité, sont effrayantes, bien qu'elles soient incomplètes.
Au 31 mars 1944, 17700 déportés étaient passés par Dora. 11800 étaient encore vivants. Depuis le 1er septembrè 1943, 5900 avaient trouvé la mort, dont 2900 au camp, 3000 en convois d'extermination. Hors des convois d'extermination, 51 % des décès se produisaient dans le camp et au tunnel, 49 % au revier. Les plus jeunes étaient durement touchés : 31 % avaient moins de 30 ans, 42 % entre 30 et 40 ans.
Les Russes (29 %) ont payé le plus lourd tribut puis les Français (25 %) ; les Polonais (14 %) les Allemands (13 %). 60 % des Français venus à Dora y sont morts.

Le four crématoire
Ce dernier était aménagé à proximité du camp. Dominé par une haute cheminée, crachant sans cesse ses volutes de fumée noire et épaisse. Tout autour, un vitrage opaque pour mettre à l'abri des regards indiscrets la sinistre besogne qui s'accomplit à l'intérieur.
Ah ! cette odeur de chair grillée qui nous prend continuellement aux narines c'est pour nous un supplice chaque fois renouvelé, qui nous fait évoquer le martyr de nos camarades et l'horrible perspective que le sort peut nous réserver d'un moment à l'autre.
Du reste, ce four était trop exigu pour dévorer dans son lugubre foyer tous les restes que la "camarde" lui vouait quotidiennement. Aussi, tous les jours, des camions apportaient à Buchenwald les corps qui ne pouvaient être consumés et, de l'aveu d'un camarade dijonnais, préposé à leur réception, le nombre de ces derniers atteignait, certaines semaines, 3 à 400 environ.

Les différentes nationalités
Les 8500 Français qui furent envoyés à Dora, furent désignés parmi les 25000 Français déportés dans ce camp. Ils comptaient de nombreux Résistants : les prisons, les rafles, fournirent le reste du contingent. Toutes les catégories sociales se retrouvèrent dans cet enfer.
Les Français furent malheureusement, la cible non seulement des SS et de leurs complices, mais des Polonais, des Tchèques, qui nous reprochaient de les avoir abandonnés. Certains Polonais furent particulièrement odieux. Ils furent, pour une minorité, les auxiliaires dévoués et efficaces de la répression nazie...
En tout, plus de 26 nationalités formaient une jungle voulue par les SS et où chacun se battait contre tous pour survivre...

Les premières exécutions
C'est en janvier 1944 que l'on fut obligé d'assister, sur la place d'appel, aux première pendaisons. Devant tous les déténus du camp, au moment de l'appel du soir, étaient présentés, près de la potence, les condamnés, soit pour tentative d'évasion, soit pour rebellion, soit pour sabotage. La proclamation était faite par le chef de camp et traduite dans toutes les langues. Les SS faisaient procéder aux exécutions par les kapos, à l'époque des "verts". Il y eut trois pendaisons en janvier 1944, cinq en février, cinq en mars, trois en avril. Certaines eurent lieu dans le tunnel B près de la sortie.
Regardant avec effroi la "brochette" de pendus, tous les kommandos défilaient avec l'obligation, sous peine de schlague, de tourner la tête vers les malheureux suppliciés. Lors d'une pendaison au tunnel, un crochet restant libre, il fut pris au hasard une victime dans les rangs.
La hargne des Allemands se portaient essentiellement sur les Russes, qui alimentèrent, dans une proportion impontante, ces exécutions capitales. Ils montrèrent, face à leurs bourreaux, un courage peu commun.

Les musulmans
Les terribles conditions d'existence ont mis les détenus dans un tel état d'affaiblissement, que bon nombre prirent l'aspect squelettique. Ils étaient si faîbles, qu'ils n'arrivaient plus à se mouvoir et restaient moribonds en tout lieu des chantièrs, du camp ou du tunnel, où les avait abandonnés la férocité des gardiens. Plus de la moitié des décès de Dôra se sont produits en dehors du revier. Les SS décidèrent de former des convois où les malades du revier qui pouvaient encore tenir debout, les faibles des kommandos de travail et, malheureusement, quelques volontaires qui n'avaient plus la force morale de faire face, furent regroupés pour être envoyés dans de soit disant "camps de repos". Un premier convoi fut constitué le 6 janvier 1944 par 1000 détenus, dont 256 malades du revier baptisés "musulmans". Il fut suivi d'un deuxième convoi de 1000 détenus, dont 239 du revier destinés au camp de repos de Belsen. Ces deux convois semblent avoir été dirigés sur Lubli et exterminés par piqûre.
Un troisième convoi de 1000, dont 249 du revier, partit le 26 janvier 1944 et arrivé le 27 à Belsen, ce qui est exceptionnel. A la libération du camp par les Anglais, il fut recensé 57 survivants.

Sauver son âme
Dans ce paysage de désolation où l'on rencontrait agonisants et morts, il fallait posséder une "âme" bien trempée. Pour ceux qui la perdirent, elle sombra, submergée, écrasée par l'instinct bestial où toute réflexion n'avait qu'un but se nourrir. L'attente de la ration quotidienne était une obsession. Son insuffisance, parfois son absence, transformait les cerveaux en distillerie de la peur ou en laboratoire de cuisine mirifique, pantagruélique. Elle devenait un imaginaire prodigieux de frustration qui finissait par accroître la détresse, conduisait à la prostration, à la tristesse et à l'abandon.
Certains nouveaux arrivants à Dora, abattus par sa réputation, le visage décomposé par l'angoisse, perdaient l'envie de vivre. Dans leurs yeux, on décelait l'affolement des bêtes traquées.

Les différentes nationalités
Les 8500 Français qui furent envoyés à Dora, furent désignés parmi les 25000 Français déportés dans ce camp. Ils comptaient de nombreux Résistants : les prisons, les rafles, fournirent le reste du contingent. Toutes les catégories sociales se retrouvèrent dans cet enfer.
Les Français furent malheureusement, la cible non seulement des SS et de leurs complices, mais des Polonais, des Tchèques, qui nous reprochaient de les avoir abandonnés. Certains Polonais furent particulièrement odieux. Ils furent, pour une minorité, les auxiliaires dévoués et efficaces de la répression nazie...
En tout, plus de 26 nationalités formaient une jungle voulue par les SS et où chacun se battait contre tous pour survivre...

La vie quotidienne
Jusqu'au début de l'automne, la vie quotidienne concentrationnaire, qui avait changé, surtout pour les anciens, depuis mai 1944, s'était maintenue à un niveau moins rude, ponctuée toutefois par des pendaisons, reflets de la continuité dans la terreur et surtout de la progression des sabotages. L'automne, puis l'hiver, vont replonger Dora, pour son premier anniversaire, dans l'enfer qu'il était un an plus tôt.
La nourriture, qui avait permis de récupérer, va se faire capricieuse, puis se détériorer. Les soupes redeviennent claires. Le pain est distribué avec plus de parcimonie (une boule pour 8) et va parfois manquer. Il sera remplacé par l'attribution de pommes de terre. De plus, les compléments (margarine, saucisson ou fromage blanc) disparaîtront de temps à autre.
Le climat de Dora se détériore. Les Allemands se fanatisent, SS et Meisters redeviennent, parfois en pire, ce qu'ils étaient au début de Dora. Certains kapos, leurs serviles assistants, se surpassent, confiés aux pires ennemis de l'Allemagne hitlérienne : ces milliers de déportés venus de tous les coins de l'Europe.
On peut supposer que les Allemands, certains de leur sens de la discipline et de leur force, étaient persuadés de pouvoir réduire à l'asservissement total les détenus.
C'est au début de 1943 que la décision a été prise par Hitler d'employer la main d'oeuvre concentrationnaire dans les usines d'armements. Dès lors, une planification fut mise en place par Himmler. Observation lui fut faite des risques de sabotage résultant de l'emploi de cette main d'oeuvre. Il répondit alors que les mesures de terreur qu'il avait prescrites le mettait à même d'empêcher ou de neutraliser toute tentative de sabotage. Cette directive reçut, à Dora, son application la plus radicale, mais, malgré la terreur qu'elle engendra, l'expérience démontra qu'Himmler s'était trompé.
Il faut noter qu'à partir du 1er semestre 1944 où la production des fusées se développa :
-1- La zone interdite autour de Dora fut portée de 30 à 50 km,
-2- Tous les déportés de l'organisation Mittelbau (ensemble industriel produisant les armes de représailles) étaient considérés comme détenteurs de secrets militaires. Ils devaient être "liquidés" avant de tomber aux mains des Alliés.
Le sabotage était un devoir sacré. Il n'allait d'ailleurs pas sans risques et beaucoup parmi nous en firent la triste expérience et payèrent de leur vie le sens aigu du devoir.
C'est en connaissance de cause et en assumant tous les risques que comportait cette attitude que les camarades placés à des postes techniques de fabrication ont paralysé, freiné et saboté autant que faire se pouvait, la production.
Les chiffres concernant la sortie des fusées diffèrent. A partir de juin 1944, 150 fusées quotidiennes ont été tirées sur Londres au lieu des 5000 initialement prévues. Autre information, sur les 10800 V2 tirées, la moitié seulement put être dirigée sur les régions visées. Plus de 5000 éclatèrent peu après le départ ou tombèrent dans la Mer du Nord.
Au cours de l'année 1944, les services de sécurité (Gestapo) ont constitué un "réseau d'agents" qui transforma le camp en une jungle de mouchards et de provocateurs. Une orgie de meurtres et de pendaisons s'ensuivit qui ne s'acheva que dans les derniers jours qui précédèrent l'évacuation des camps. Entre le 10 et le 21 mars 1945, 118 détenus furent pendus en public selon une technique de strangulation particulièrement horrible.
C'est pour conserver et transmettre la mémoire de leur sacrifice suprême que j'aI écrit ces quelques lignes, dans la ferveur du souvenir.

Sabotages techniques sur les fusées
- Coupure des fils du circuit.
- Queue de la V2 , fixations jamais bloquées à fond.
- Fils de contact non bloqués.
- Trait de graphite entre les relais électriques.
- Fausser les axes des électro-aimants des ailerons arrière au moment de leur contrôle sous optique.
- Collage de tôle au lieu de soudure.
- Sabotage du dispositif de réglage des moteurs d'aile sectionnant l'alimentation en carburant.
- Test du montage électrique de la V2, recherche des pannes, réparations.
- Test avec un transformateur saboté donnant des résultats inversés.
- Rejet non conforme du matériel au "maximum".
- Commande des ailerons (1 boulon sur 2)
- Rotation du gyroscope de 90 degrés, non décelable sur 30 % des V2.
- Sur 12 heures de travail, 5 à 6 fusées par jour sabotées.
- Sabotages sur soudures.
- Soudures défectueuses des points de fixation, habillage de la fusée.
- Huilage au point de soudure, défectuosité non apparente au contrôle.
- Soudures inopérantes sur des circuits de l'appareillage de direction.
- Sabotages divers.
- Contacts et raccordements non bloqués.
- Falsification d'une centaine de fusées par le déréglage du système de l'un des rhéostats.
- Contrôle, déchets de 6 à 10 % par jour, 20 à 30 % en 1945.
- Mettre de la charpie dans les tuyaux d'aluminium alimentant les turbo-pompes.
- Sabotage sur matériels
- Chocs sur carcasses des torpilles nécessitant des redressements.
- Destructions des forets.
- Remplacement dans une série d'un dessin "à jour" par le même dessin périmé et subtilisé dans une pile à détruire.
- Parmi les exploits, il faut citer la construction d'un poste émetteur qui devait servir à renseigner les alliés. Ce poste devait servir à renseigner les alliés sur la fabrication des armes.
- Vers octobre 1944, arriva un convoi, celui des 77000 dans lequel se trouvaient plusieurs chefs de la Résistance. L'organisation put empêcher certains détenus de partir pour Ellrich ou Harzungen.

Mais depuis le mois de juin, et les déboires que connaissait la production des chaînes de V1 et V2, les nazis redoublaient leur surveillance et c'est ainsi qu'un de leurs agents, Naegels, réussît à capter la confiance de quelques résistants. Dans ses précédentes fonctions, exercées à la gestapo d'Orléans, il arriva ainsi à repérer différents contacts entre Français qu'il dénonça à ses maîtres.
Le 3 novembre 1944, dans la nuit, les SS procédèrent à une quarantaine d'arrestaflons. Neuf détenus en cause sont conduits à Niedersachswerfen. En présence de Naegels, ils sont interrogés, avec matraquage en règle, par les chefs de la gestapo qui voulaient savoir où était caché le poste émetteur.
Le poste émetteur était caché par Doll, kapo de l'infirmerie, qui se suicida après l'avoir détruit.
Le 3 avril 1944, les 7 chefs communistes allemands sont exécutés par balles à côté du bunker. Le 4 avril, au matin, tous les détenus du bunker qui n'ont pas été fusillés ou pendu, sortent ils sont embarqués dans un wagon découvert, c'est l'évacuation pour Bergen-Belsen.

Les convois d'évacuation de Dora et des Kommandos
- 4 avril 1945 : départ d'un convoi qui, par Ellrich, Osterhagen, Brauschweig, arrive à Bergen-Belsen le 11 avril.
- 4 avril 1945 : départ d'un convoi qui, par Magdebourg, Hambourg, arrive à Lübeck le 16 avril 1945.
- 5 avril 1945 : départ d'un convoi qui, par Ellrich, Osterode, Brauschweig, Magdebourg, arrive à Ravensbrück le 14 avril 1945. Une partie du convoi repart à pieds, un groupe sera libéré à Malkoww le 29 avril par les Russes, d'autres iront jusqu'à Perchima où ils seront libérés le 4 mai 1945.
- 5 avril 1945: départ d'un convoi de Dora, Ellrich, Rottelerode jusqu'à Mieste, puis poursuite du trajet à pieds jusqu'à Gerdelegen,où le 13 avril 1945, les survivants sont brûlés dans une grange.
- 11 avril 1945 : les camps de Dora-Nordhausen sont libérés par les troupes américaines.
Il restait à Dora quelques centaines de malades non évacués et à Nordhausen quelques survivants des bombardements des 3 et 4 avril 1945.

Les convois : un moyen d'extermination
Pour les SS, tous ces convois devaient conduire les survivants à la mort. Les déportés sont entassés dans des wagons, le plus souvent découverts, pour éviter les évasions de nuit dans ces derniers. Tous les déportés devaient être assis, ce qui est impossible. Il en résulte une lutte sauvage, les kapos et les SS frappant jusqu'à ce que la masse ait obéi. Chaque matin, on comptera les morts.
Aucune distribution de nourriture n'est effectuée pendant le voyage, ce qui entraîne la mort de nombreux détenus, les voies ferrées étant coupées, certains déportés parcourent de longues étapes à pieds, ceux qui ne peuvent suivre sont abattus.
Les SS en nombre insuffisant ont armé les kapos allemands pour renforcer l'escorte des convois.
La route suivie par tous ces transports est jalonnée de cadavres et de fosses où ils sont enterrés à la va-vite. Certains convois connurent un destin particulièrement tragique et furent presque totalement anéantis.
Quant à celui qui parti le 5 avril de Dora, il éprouva des pertes importantes pendant le transport. Les survivants terminèrent leur existence par une des plus épouvantable tragédie : tous ceux qui avaient réussi à survivre au transport furent rassemblés, le 13 avril, dans la grange de Gardelegen et brûlés dans l'incendie de celle-ci :1016 victimes, une poignée de survivants.

Compte rendu sur le massacre de Gardelegen
Compte rendu de Guy CharnaiIIard, Mareuil-sur-Arno (Cher), affecté durant sa captivité au Kommando d 'Osteragen, dépendant du Kommando général de Wleda. Il a été un des survivants du massacre de Gardelegen, de sinistre mémoire.
Aujourd'hui, rien à manger : c'est normal, ce serrait perdu puisqu'on doit mourir. Ce matin, on a demandé vingt hommes pour mettre dans un autre local. Mes camarades voulaient y aller, mais mol j'ai refusé et personne n'a bougé. Finalement ils n'en ont plus reparlé. Aujourd'hui j'ai compris quel avait été leur premier plan ; ils ont certainement trouvé que pour nous supprimer vingt par vingt ce serait trop long, ils ont changé d'avis.
Nous avons passé notre Journée à dormir on ne songeait pas à notre estomac. Le soir, vers quatre heures, on nous a tous fait sortir : on espérait que c'était pour nous donner un morceau de pain, on était tous contents.
Après nous avoir fait mettre en rang sur cinq on nous compte et c'est à ce moment que j'aperçois un Allemand de notre camp du nom de Walter (il était détenu comme nous, mais il portait le triangle vert, insigne du bandit) et le nommé Alfred le Capo, qui nous avait dit de partir quand nous étions dans le train. Quelle nationalité avait Alfred, je n'en sais rien, il est possible que lui ne le savait pas non plus. enfin aujourd'hui il est Allemand ; tous les deux, Alfred et Walter, portent l'uniforme des S.S. avec la tête de mort bien en évidence sur leur calot
L'ordre du départ est donné. On sonde la caserne et nous montons une côte dans la montagne. On ne veut pas s'évader, car nous sommes bien gardés et nous avons sans cesse les canons des fusils et mitraillettes braqués sur nous. Après avoir marché à peu près un kilomètre, on fait une pose d'une demi-heure environ ; à cinq cents mètres environ, on aperçoit une grange. Avec mes camarades on se disait : " si seulement il nous faisait entrer… " car on avait froid sur ce chemin. SI on avait su !…
On repart. Et ce coup-ci, c'est pour nous amener devant la dite grange. On entre pas, on est devant, on attend. Au bout d'un moment on aperçoit deux chariots attelés de chevaux qui viennent et dedans, il y a des hommes : ce sont les malades qui étalent restés dans le manège qu'on nous amène.
Ensuite ce sont deux bicyclettes et une moto qui arrivent. Deux S.S. descendent de moto et approchent de la grange. Ils sont tous les quatre armés de fusils mitrailleurs. Sur l'ordre d'un S.S. nous entrons dans la grange, qui est très grande. Il y a de la paille sur un mètre de hauteur environ qui est Imbibée d'essence.
Marseille, Mimile et mol nous entrons tous les trois et nous nous dirigeons vers la droite, où la paille est plus haute, pour nous coucher dessus. Marseille et Mimile sont déjà couchés, moi je suis a genoux. Prêt à m'allonger aussi ; je regarde vers la porte et je vois trois S.S. qui entrent avec des torches et mettent le feu à la paille. Je n'en crois pas mes yeux. j'appelle mes deux camarades, qui se relèvent et aussitôt, comme mol, ils regardent, épouvantés.
Des Russes n'ont pas perdu courage ; plusieurs rampaient dans la pallie pour attaquer les trois S.S. par derrière. Mais un des trois les aperçut. Il était temps pour lui. Il les abattit à coups de revolver.
Les portes craquent sous la poussée de ces hommes qui ne veulent pas mourir. Les fusils mitrailleurs ouvrent le feu, un à chaque porte. Les Russes font preuve d'un courage inouï : avec une couverture ils tentent d'éteindre le feu. Ils n'ont que le temps de donner trois ou quatre coups et ils sont abattus . Belle cible pour ces assassins : un homme debout devant les flamme ! Mais chaque fois qu'il y en a un qui tombe, un autre est là pour prendre la couverture et frapper à son tour jusqu'à ce qu'il soit abattu.
Le feu prend dans tous les coins. Ils ont du tirer des balles incendiaires. Le combattre est impossible. Maintenant, c'est la ruée sur les portes qui commence, dès que le feu envahit presque la totalité de la grange. J'étais debout quand j'ai vu le feu, mais quand les détonations commencèrent, je criai à mes camarades : " A plat ventre ! " et je commençai à ramper dans la direction du brasier en leur disant de me suivre, mais ils ne l'ont pas fait.
Quand je suis arrivé à quelques mètres du premier brasier allumé, j'avais Idée d'aider les Russes, mais il était trop tard , ça brûlait dans tous les coins. Les malades, qui n'étalent pas entrés très profondément dans la grange, brûlaient tous vifs et poussaient des cris déchirants. Je reviens vers la porte et je me couche en face avec un cadavre devant moi pour me protéger. Les balles sifflent au-dessus de moi. Je vois un fusil mitrailleur et sept fusils ordinaires, qui tirent dans la grange. c'est la ruée. Les hommes affolés, se lancent au devant des balles et en peu de temps devant la porte où je me trouve il y a plus d'un mètre de cadavres.
Le feu est encore à quatre ou cinq mètres de la porte où je suis. Je vois un homme occupé à repousser la paille qui s'étendait jusqu'à la porte. Je m'approche et reconnais Aurad un Algérien qui était dans mon camp. Je l'aide à repousser la paille jusqu'au feu, je m'assois le long du tas de cadavres puis je me couche la face contre terre.
La fumée me gêne de plus en plus et les yeux me brûlent. A quelques mètres, j'entends une voix que je reconnais pour celle de Maigret, camarade de Wleda, qui crie : " Vive la France ! " jusqu'à son dernier souffle. La feu est dans le tas de cadavres. Je suIs obligé de me déshabiller pour plusieurs raisons. Premièrement j'ai trop chaud. Deuxièmement j'ai besoin de mes guenilles pour éteindre le feu qui arrive jusqu'à moi, les cadavres brûlent moins vite que la paille imbibée d'essence, et troisièmement quand le feu me touchait, je sentais tandis qu'avec ce qui me servait de vêtement j'aurais pu m'en apercevoir trop tard. Enfin, on arrive au matin et pardessus les cadavres calcinés qui maintenant forment un tas de plus d'un mètre cinquante de hauteur.
J'aperçois le jour qui se lève : les dernières heures de la nuit sont les plus terribles. Beaucoup de ces malheureux voulaient rester dans la grange, mais le feu les ayant atteints. Il sont été obligés de fuir. Aucun n'a eu l'idée de s'arrêter près du tas où j'étais. Tous montaient sur cet entassement et roulaient à terre, la poitrine trouée. Les fusils mitrailleurs et autres armes cessaient de tirer.
Il y a moins de fumée, je peux mieux respirer. Du feu, il n'y en a presque plus, quelques brasiers, mais presque rien.
Je n'ai aucune blessure mais je suis plein de sang. C'est celui de mes camarades qui ont été tués près de moi. Les yeux me brûlent, J'ai la gorge sèche et la faim me tiraille l'estomac. En rampant, je quitte la porte et je m'en vais me coucher un peu plus loin. Je place deux cadavres et je me couche entre, en ayant pris soin de me barbouiller de noir pour le cas ou les S.S. rentreraient dans la grange.
Peu de temps après qu'ils ont eu cessé le feu, j'entendis le bruit de pioches et de pelles. Ils creusaient des trous. Je relevais un peu la tête et je vis un trident passer à la porte, se planter dans un cadavre et le tirer vers I'extérieur. Ils voulaient faire disparaître la trace de leur crime.
De temps en temps, ils en tiraient qui n'étaient que blessés et j'entendais le malheureux qui criait, le rire des S.S., une détonation, encore le rire des S.S. et c'est tout.
J'attends mon tour, je sais que lorsqu'ils arriveront à moi ce sera aussi le rire des S.S. et la détonation. Un Russe qui était certainement devenu fou est sorti de la grange et a demandé aux S.S. travailler : cela a été un fou rire pour les bourreaux et j'entends encore manoeuvrer la culasse, une détonation, un râle... Encore un de plus sur leur conscience.
Exténué, je me suis endormi. Quand je me réveille, Il fait nuit noire. Je n'entends plut rien, c'est le silence. En rampant, comme toujours, je marche dans la grange. Je trouve quelques pommes de terre à moitié cuites par le feu. Je les mange. Le jour commence à poindre. je reviens à ma place et j'attends. Au bout d'un moment, je me relève, je vals d'une porte à l'autre et toujours même silence. J'ai froid ; je sors dehors et j'aperçois un manteau laissé par les S.S.
je le prends et je rentre dans la grange. Dans un coin, des cadavres brûlent toujours ; j'y vais pour me réchauffer, mais à côté du feu je vois une couverture et je suis étonné qu'elle ne soit pas brûlée ; je la tire et dessous j'aperçois deux Russes vivants. Ils avalent avaient échappé aux balles en faisant un trou le long du mur. Nous nous sommes assis près du feu et nous avons parlé dans un mélange d'allemand et de russe. Nous faisions notre possible pour nous comprendre. De temps en temps, un de nous allait voir à la porte si personne ne venait. Les Russes avalent un peu de tabac. Nous avons fumé. Au bout d'un moment, on aperçoit plusieurs hommes qui venaient en direction de la grange. Immédiatement, on se cache, puis, n'entendant plus rien, on sort et nous voilà de nouveau près du feu.
Nouvelle alerte. On se cache encore. Un quart d'heure se passe. Mes camarades Russes m'appellent. Je sors à mon tour et je vois trois hommes a leur tête. A leur habillement, je vols tout de suite que ce sont des prisonniers Russes. Ils parlent avec mes camarades et demandent ce qui s'est passé. Après leur avoir expliqué en deux mots, nous nous mettons à la recherche des blessés. Tout d'abord on trouve un Polonais blessé, puis trois Russes et dehors j'ai eu la joie de retrouver un Français, blessé également. De cette tragédie, nous sommes sortis huit vivants sur prés d'un mille. Avec mes deux camarades russes nous sommes descendus à pied à la caserne et les blessés furent transportés dans un chariot par les prisonniers Russes.
Tous les huit, nous fûmes dirigés sur I'hôpital, où un mois et demi de bon régime a, pour ma part. remis ma santé d'aplomb.